Il n'est aucun empire humain, Au dessus de moi je ne vois que des oiseaux de mer.

11 mars 2011

Ne sachant alors où aller, je rencontrai un vieil homme aux cheveux grisonnants, dont la seule occupation était de répéter l'alphabet dans un sens, puis dans un autre, journées après journées, sans qu'il ne comprit ce qu'il se passait dans son esprit. Quelque chose lui faisait répéter les lettres de l'alphabet, sans qu'il n'y comprit rien, et sans qu'il ne sache pourquoi il le faisait. Ce vieil homme marchait avec difficulté, mais décrivait à la fin du jour un cercle parfait qui lu permettait ainsi d'arriver exactement là où il s'endormait le soir. De ce manège, dont il ne semblait pas conscient, il paraissait même satisfait. L'ordre avec lequel il exécutait ses gestes atteignait la perfection, mais il cherchait cependant à la reproduire avec une perfection plus grande encore.


J'avais le dessein lui dire, sans toutefois le brusquer, qu'il y avait de grandes chances qu'il périsse assoiffé ou affamé, ou victime d'un obstacle qui mettrait à jamais un terme à son existence. Je choisis finalement de le suivre, avec silence et sans jamais dévier de sa route. Avec grande difficulté, j'arrivai à reproduire son pas régulier et la courbe de sa marche circulaire, pour le soir m'endormir au même moment puis reprendre de la même façon le lendemain. Je continuai ainsi, espérant découvrir la raison impérieuse qui devait gouverner une telle existence.


Plusieurs cycles s'étant répétés, et n'ayant toujours pas obtenu de réponses, je décidai de légèrement dévier sa course en modifiant l'orientation de certains objets qu'il était habitué à rencontrer sur son chemin. Incapable de comprendre la raison de ces changements, et n'ayant toujours pas remarqué ma présence derrière lui, il se mit à pousser un cri terrible qui le replaça instantanément sur la route qu'il s'était fixé depuis, peut-être, une époque très reculée. Devant l'inefficacité de mon stratagème, je décidai alors de me placer en face de lui dès son réveil, peut-être ainsi me répondrait-il. J'observai attentivement le soleil se lever, et tout de suite l'expression de son visage se raidir, puis quelques nerfs s'agiter. C'est lorsqu'il ouvrit les yeux que je remarquai une chose terrible. Il y avait dans son regard la même noirceur pesante et glacée qui recouvrait les esprits de la ville.


Pour la première fois, je le voyais prendre une autre direction. Comme alerté par une menace inconnue, il s'approcha de moi, poussa un grand cri et se mit à me poursuivre. Longtemps après, je gardai le souvenir de cette mésaventure. Il me semblait ne pas pouvoir la comprendre. Mais un jour, tout était clair. Les mouvements que j'avais observé en ville me rappelaient la marche du vieil homme et je finis par saisir l'évidence : le nombre des années réduisant la force de l'impulsion, l'amplitude des gestes et la qualité de l'effort, le cercle que je ne percevais par dans la ville avait fini par tant rétrécir qu'il était distinctement visible aux yeux de n'importe quel voyageur.