Il n'est aucun empire humain, Au dessus de moi je ne vois que des oiseaux de mer.

20 mars 2011

I have the impression of emerging from a dream. Everything is real. I feel free, and at peace. In this state, I do not seek, I do not wish, I do not expect anything. There is only what "I am" in this moment. I know now how I am here and why I am here.


Jeanne de Salzmann, p.292, The Reality of Being

13 mars 2011

La matière... fine couche cristallisée de substance perceptive... la chaleur l'approche et l'explose d'un seul coup.

11 mars 2011

Ne sachant alors où aller, je rencontrai un vieil homme aux cheveux grisonnants, dont la seule occupation était de répéter l'alphabet dans un sens, puis dans un autre, journées après journées, sans qu'il ne comprit ce qu'il se passait dans son esprit. Quelque chose lui faisait répéter les lettres de l'alphabet, sans qu'il n'y comprit rien, et sans qu'il ne sache pourquoi il le faisait. Ce vieil homme marchait avec difficulté, mais décrivait à la fin du jour un cercle parfait qui lu permettait ainsi d'arriver exactement là où il s'endormait le soir. De ce manège, dont il ne semblait pas conscient, il paraissait même satisfait. L'ordre avec lequel il exécutait ses gestes atteignait la perfection, mais il cherchait cependant à la reproduire avec une perfection plus grande encore.


J'avais le dessein lui dire, sans toutefois le brusquer, qu'il y avait de grandes chances qu'il périsse assoiffé ou affamé, ou victime d'un obstacle qui mettrait à jamais un terme à son existence. Je choisis finalement de le suivre, avec silence et sans jamais dévier de sa route. Avec grande difficulté, j'arrivai à reproduire son pas régulier et la courbe de sa marche circulaire, pour le soir m'endormir au même moment puis reprendre de la même façon le lendemain. Je continuai ainsi, espérant découvrir la raison impérieuse qui devait gouverner une telle existence.


Plusieurs cycles s'étant répétés, et n'ayant toujours pas obtenu de réponses, je décidai de légèrement dévier sa course en modifiant l'orientation de certains objets qu'il était habitué à rencontrer sur son chemin. Incapable de comprendre la raison de ces changements, et n'ayant toujours pas remarqué ma présence derrière lui, il se mit à pousser un cri terrible qui le replaça instantanément sur la route qu'il s'était fixé depuis, peut-être, une époque très reculée. Devant l'inefficacité de mon stratagème, je décidai alors de me placer en face de lui dès son réveil, peut-être ainsi me répondrait-il. J'observai attentivement le soleil se lever, et tout de suite l'expression de son visage se raidir, puis quelques nerfs s'agiter. C'est lorsqu'il ouvrit les yeux que je remarquai une chose terrible. Il y avait dans son regard la même noirceur pesante et glacée qui recouvrait les esprits de la ville.


Pour la première fois, je le voyais prendre une autre direction. Comme alerté par une menace inconnue, il s'approcha de moi, poussa un grand cri et se mit à me poursuivre. Longtemps après, je gardai le souvenir de cette mésaventure. Il me semblait ne pas pouvoir la comprendre. Mais un jour, tout était clair. Les mouvements que j'avais observé en ville me rappelaient la marche du vieil homme et je finis par saisir l'évidence : le nombre des années réduisant la force de l'impulsion, l'amplitude des gestes et la qualité de l'effort, le cercle que je ne percevais par dans la ville avait fini par tant rétrécir qu'il était distinctement visible aux yeux de n'importe quel voyageur.


La recherche d'une vie et la recherche d'une âme sont une seule et même chose. Dans la nuit, je ne savais où aller. Puis je vis une porte, revêtue de plusieurs couleurs mélangées, prise comme dans un étau par le mur, repoussée de tous côtés, et aspirant mon regard. Plus je m'approchais, plus la chaleur était intense, et lorsque je saisis la poignée, je fus projeté dans un espace vide, dont je ne compris ni le sens, ni l'orientation. J'aperçus enfin quelques lueurs, qui ressemblaient à des nuages épars, puis un horizon de vagues morcelées, et dans les ténèbres, je traversais les cieux et arrivais sur le sol.


Autour de moi, comme dans un mauvais rêve, des courants glacés m'enserraient peu à peu, jusqu'à ce que mon âme délavée et délaissée, m'abandonna. Je vis une lumière monter, disparaître enfin de mon champ de vision, et je sus que mon voyage était sans retour. Mes troubles prirent fin et ma conscience se stabilisa. Je vis quelques reflets apparaître, sur une terre insipide et malléable, et mes doutes s'écartèrent, car enfin je perçus dans quelle terrible situation je me trouvais.


Je fis donc trois fois le tour de la terre. La première fois, je vis la vacuité, je ressentis du chagrin. La seconde fois, je vis la vanité, je ressentis du remords. La troisième fois, la vérité me frappa comme une pierre sur un crâne dégarni : cette aventure est une farce, et j'arrêtai toute entreprise d'exploration. Je me réveillai alors derrière un carreau, au dernier étage d'un grand immeuble, terne, habituel, comme fabriqué de poussière. Un grand nombre d'êtres inconnus se blottissaient entre ces murs froids et imbriqués, éclairés de lumière artificielle. Au-dehors, le ciel irisé étouffait les sirènes s'élevant de la tiédeur invisible composée par autant d'édifices de ce genre.


Avais-je perdu l'esprit ? Je me mis à courir, dans toutes les directions. Il fallait regarder attentivement, peut-être l'issue était-elle proche, insoupçonnée, derrière ce vieux portail, au fond de cette cour, ou bien au-dessus des toitures, entre ciel et terre ? Peut-être à l'endroit même où je me tenais ? Mais au milieu de cette nuit n'appartenant à aucune saison, je savais que je ne pourrais résoudre ce mystère, je m'assis donc à même le sol, en attendant le lendemain. Je savais aussi que cette ville étrange attendait de moi un tribut, et je sachant pas de quoi il s'agissait, j'attendais qu'un signe puisse m'expliquer ce qu'il me restait à faire.


Je me levai résolu, et je vis la circulation reprendre peu à peu comme motivée par un fil reliant chacun à une destination inconnue, et je vis chacun s'avancer, furtivement, au travers des rues et avenues, vers les activités que livraient cette nouvelle journée. Encore transi par le froid, je réalisai qu'une grande partie de mes pensées de la nuit précédente, que je devais appliquer désormais, avaient perdu leur cohérence. Elles s'évanouirent rapidement de mon esprit, tandis que je m'observai les nombreux fils invisibles des êtres qui passaient dans un sens, puis dans un autre, et je m'efforçai de comprendre ces mouvements ordonnés.


Je rencontrai alors une enfant, élusive et frêle comme un pétale, qui semblait également égarée. Elle ne répondait à aucun nom, et me guida jusqu'au centre de la ville, pour me pointer une très ancienne et curieuse fontaine, dont l'eau brillait d'une couleur que je jurai connaître. Tout en haut d'une colonnade, s'épanouissait trois fleurs blanches, fines et harmonieuses. Je fus saisi de stupeur lorsque je les vis noircir et flétrir dès lors que je m'en approchai. Je compris alors que je ne pourrais les atteindre sans recevoir une aide extérieure, capable d'extraire de mon corps les facteurs à l'origine de ce funeste effet. Sans mot dire, je me retournai et compris. Douce, voluptueuse, la mort retire le soupçon de légèreté au-dessus des êtres. Dès cet instant, je sus que la mort était en moi, et qu'elle me suivrai. Je suffoquais, car je manquais de toutes choses, n'avait d'autre choix que d'obéir, de supporter un être que je connaissais pas, qui reçut mon propre nom, et horrifié, j'avançais malgré tout. J'avançais et je continuais, misérable et mortel, retrouvant à l'esprit des souvenirs que personne n'aurait osé demandé.


Il y a dans la beauté le reflet du futur, ce qui n'est pas beau appartient déjà au passé et disparaît en lui. Ce qui est beau vit au-delà de la sphère d'existence, Une faible poussière s'élève dans la lumière et disparaît. Un tourbillon s'élève et la vie des hommes s'éteint. Maintenant qu'il ne subsiste rien, un grand dômes de nuages ocres me recouvre, le passé entier y est inclut. L'expression ainsi que les impressions sont un soufflet qui comme une boule, rétrécit au fur et à mesure que le feu de la destruction s'allume. Il y a en chacun un germe de vie et un germe de mort. Le germe de mort, irrésistible et puissant, s'immisce entre toutes les parties de soi; aussi fines qu'une poussière, elles s'envolent. La vie, flamboyante, douce comme l'eau, appartient à d'autres contrées. Lointaine et pure, elle virevolte dans la lumière.


Je descendis sous les nuages de la destruction et je détruisis, L'esprit de mort entra en mon âme et fit des cendres de l'arbre céleste. Dans la pénombre, dans nos villes froides et bruyantes, je vis l'empire de l'esprit de mort. Se reconnaissant dans cette chambre cubique, sous le voilage obscur des désirs, et l'agitation, la distorsion défigurée, la mort et le temps m'entrainèrent, me donnèrent un numéro, firent de moi une ineptie. Sans espoir, je désirais quitter la périphérie des mondes, les assemblages vides qui, soumis à la pression, forment des corps et des histoires. Je suis devenu une forme, aride et sèche comme une pierre. La mort est originale, offrant toujours une variation supplémentaire, et variation je devins, j'exhibais, comme une poule caquette et un singe vocalise. Ma voix originale se transforma en cendre, de ma bouche sortit des cendres, mon corps s'ouvrit et me laissa voir une poudre qui s'échappa et se dissipa. Ma peau originale se flétrit, épousant les contours du sol, mes os apparurent et mon crâne sécha. Après plus d'un mois, trois gracieuses fleurs s'épanouirent, d'une blancheur immaculée.


Qu'est-ce que notre histoire, effrontément sale, inepte et rabougrie; qu'est-ce que soi-même, libre et stellaire, passant au travers du pire couperet, du plus étroit des goulots ? Le résultat de ce funeste tracé égoïste : des cendres, toujours et sans s'arrêter. Notre histoire, grande tapisserie ennuyeuse, réduite à un seul fil, auquel nous tenons, et sommes enchainés. Alors je partis. Je pris ce fil, l'allumai d'une flamme sérieuse, me retournai en moi-même, je pris la route par laquelle j'étais venu, j'enflammai et soufflai les cendres. L'histoire est étrange, elle s'enroule sur elle-même sans se laisser voir à moins d'avoir soi-même tourné, et inspiré chaque pelure d'oignon, assimilé chacun des nutriments qui la composent, et brûlé les poux qui s'en nourrissent.


Le vent prend source au-delà des dunes, l'eau abonde d'un point situé au-delà de l'horizon, le soleil arrache sa chaleur dans une tête d'épingle, la vite tire son origine des grandes profondeurs. Puis les éléments se construisent et rayonnent différents aspects de la source une. Enfin, les grands flux se tarissent et reprennent vie dans le terrible un. Ainsi tous les êtres se renouvèlent et toute la nature se régénère. Lorsque le chemin s'arrête, lorsque la branche se dessèche, chaque pas alourdit l'erreur. Volonté impie, parasite sur l'arbre, pourquoi continuer ? Ce furent mes pensées alors que je traversai la ville, et me demandait quelle mystérieuse force agissait autour de moi, emmenant les êtres là où ils ne le désiraient pas, emmenant des volontés captives là où il ne subsisterait qu'une ombre. Quelque chose de noir et de froid avait pris possession des volontés, mélangé chaque esprit dans une boue plus noire que noire, planant au-dessus des hommes, les piégeant dans un précipice sans fin, obscurcissant leur conscience de mets dérisoires. Alors que je sentis la fin approcher, je décidai de partir, sans prendre aucune miette d'un festin auquel je ne participai pas et qui m'avait révulsé. La nuit était tombée, et personne ne me cherchait plus.