Il n'est aucun empire humain, Au dessus de moi je ne vois que des oiseaux de mer.

10 janvier 2006

L'idée de déformation

étendre le pouvoir de la figuration au domaine des mouvements intérieurs, des mouvements de l’esprit (Artaud)

Un système de filtres
constitue l'intermédiaire entre notre esprit et l'extérieur. Notre esprit est tel une bulle dans la bulle universelle. (sentiment de hiérarchie).

Ce multifiltre, composé des "calques" de notre esprit, est une frontière déformante.
Cette déformation est d'ordre symbolique.
La tradition psychanalytique veut que les mouvements et objets extérieurs, lorsqu'ils sont intériorisés, deviennent figuratifs et symboliques. Ceux-ci, en effet, ont traversé la frontière du multifiltre.
Ce que je remarque, est que l'inverse est également valable. Les mouvements de notre esprit, lorsqu'ils sont extériorisés, deviennent symboliques, figuratifs. C'est la genèse des arts.

Il y a donc une dynamique entre extérieur et intérieur, qui peut être dit comme cela:
Les mouvements extérieurs, intériorisés, deviennent figuratifs/symboliques.
Ces figures et symboles créent, au sein de l'esprit, un mouvement.
Ce mouvement, extériorisé, devient symbolique/figuratif.
Ce sont par ces symboles et par ces figures que nous interprétons le monde et que nous lui apportons un sens.

C'est ce même dynamisme qui nous fait engendrer des lois comme celle de cause à effet, car les objets extérieurs, vêtus d'une figure, symbolisés, peuvent entrer dans une logique interprétative. La raison est ce qui organise ces interprétations.
Et, la raison créé le mouvement,
et, de la raison nait l'art.


L'homme est une machine à figurer, car, en effet, il transforme et symbolise tout les objets extérieurs afin de leur donner une valeur, de les comparer, de les classifier, etc.
Encore une fois, ce principe de l'esprit provient de la volonté de puissance, laquelle, pour avoir l'illusion de dominer l'environnement, doit classifier, considérer, "valoriser"...
Ainsi, de créer une terminologie des forces invisibles de la nature, permettait aussi de les dominer. Ce fut le début des religions.
Il en est de même pour nos modèles de société; nous avons érigé des chefs car ceux-ci ont une domination sur le peuple et le peuple est ainsi rassuré de lui-même, car en louant un chef, il loue sa faculté de dominer les autres. L'esprit est alors apaisé.
Dans un autre registre, les affections mentales aujourd'hui assez fréquentes, dont TOCs, ou le simple fait d'être maniaque, démontre un surplus de cette volonté de puissance, certainement frustrée d'un côté - elle rejaillit alors d'un autre, dans des comportements absurdes. On pourrait les nommer "troubles de la puissance".
Les traditions permettent également une symbolisation du temps.
Et si nous continuions à observer la nature humaine, nous pourrions constater que ses moeurs sont uniformément induits par cette-dite figuration/symbolisation qui prend source dans la volonté de puissance.

Habituellement, c'est la figuration/symbolisation qui est déterminante dans nos liens et échanges relationnels sociaux.
Il y a deux idées courantes que l'on utilise pour, à soi-même, se prêter quelque considération:

-l'a-priori: nous entendons souvent que, la morale insiste sur le fait qu'il ne faut pas se faire d'a-priori sur les personnes que l'on rencontre, et même parfois nous entendons qu'il faut juger quelqu'un non pas sur l'idée première que l'on se fait de lui, mais sur ses actes, selon s'ils correspondent ou non la morale, s'ils sont bien ou mal. Par-là, l'individu sera catégorisé dans l'ensemble de personnes qui font du bien donc qui sont des gens de bien, ou inversement. Il subsiste cependant l'idée que certaines personnes font parfois du bien, ou parfois du mal, selon leur bon vouloir, selon leurs humeurs, selon le hasard. Les personnes que l'on ne connaît pas sont, quant à elles, évaluées sur leurs premiers aspects, ce qui engendre inévitablement des a priori. Former des a priori permet, facilement, un sentiment de domination qui flatte la volonté de puissance. Pourtant, de ne pas former d'a prioris est également un moyen détourné de la volonté de puissance, car, chez certains humanistes, gens sympathiques, étendant leur bienveillance sur ceux qui les entourent, ceux-là, ont appris que l'ouverture aux autres avec gentillesse et générosité est aussi un moyen de domination efficace. L'hostilité des esprits réfractaires, leur agressivité naturelle, ne permet pas un aussi fort sentiment de puissance, car leur désobligeance entraîne une réciprocité désarçonnante. Elle créé chez les autres une contraction d'esprit secondée par une méfiance périlleuse. La volonté de puissance est alors froissée, c'est pourquoi les attitudes aigres et mauvaises envers autrui ne s'expriment en général que pendant des périodes de vie, rapidement effacées par une ouverture aux autres, un charme, nettement plus délectable pour la volonté de puissance. Aimer, c'est dominer.
J'étais toujours méfiant envers ces personnes qui aiment lorsqu'elles ne sont pas animées d'une passion dont le surjaillissement forme un amour envers autrui. Il n'y a que les passionnés qui aiment qui sont crédibles à mes yeux.

-le jugement: contrairement à l'a priori qui est une étincelle, le jugement est une calcination. Le jugement referme et emprisonne. Ce qui est source de bien ou de mal, pour l'esprit, est classifié, et le jugement découle d'une comparaison. Cette comparaison est majoritairement inconsciente, ce qui a fait du mal dans le passé est latent et réapparait lors de la comparaison avec un object nouveau. Il en va de même pour ce qui a fait du bien. Il est alors une tradition inconsciente des objets sources de mal et objets sources de bien. Lorsque, à l'instant présent, il y a une majorité d'objects sources de mal autour de soi, il existe alors une sensation de malheur, et inversement, s'il y a une majorité d'objets source de bien, existe le bonheur (relatif). Il n'est pas besoin de beaucoup d'objets source de mal ou de bien, un seul peut suffir. La subtilité sur laquelle je veux insister ici, c'est que cette tradition provient également de l'imaginaire. Les objets sources de mal ou de bien peuvent advenir de l'expérience réelle ou imaginaire. Par exemple, la maladie, même si elle n'a pas été vécu, a été imaginé et est source d'un malheur important dans la tradition personnelle. Si la maladie subvient, sans même qu'elle ne soit vécue, elle est tout de suite catégorisée comme un grand mal car elle a été imaginée. C'est là que des troubles peuvent se former. Car l'imaginaire est très aléatoire, il peut considérer tout objet comme mal, tout objet comme bien, car il ne l'a pas vécu. Il créé des hypothèses, de ces axiomes, il instaure un jugement de valeur à l'object dont l'axiome est question. J'en viens, pour finir, à l'idée d'étonnement. L'enfant, dépourvu des obligations reproductives et des instincts d'évolution, n'a pas encore catégorisé ce qui l'entoure. De ce fait, il s'étonne de toutes choses. Puis, avec le temps, les choses perdent leur aspect novateur, car l'individu aura imaginé presque tout ce qui l'environne. La venue de la volonté de puissance signe la mort de la beauté originelle.