Il n'est aucun empire humain, Au dessus de moi je ne vois que des oiseaux de mer.

31 octobre 2005

Les portes du ciel

Hier soir, je sors, j'avance, lève les yeux, et vois:
De quelles portes s'agit-il ?

30 octobre 2005

Tout est contredisible.


Le lierre du réveil,
Le lien du réveil.
Le lieu.


Il y a la forme, il y a le fond: la forme est folle, le fond est flou.


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Dossier du Nouvel Obs, 15/21 septembre 2005

Le développement du cerveau obéit à deux principes antagonistes, comme l'explique Giedd: "le premier est la surproduction, le cerveau produit plus de cellules et de connexions qu'il ne peut en survivre, grâce à une abondance de nutriments, de facteurs de croissance et à l'espace disponible dans le crâne. Cette surproduction est suivie d'une élimination par la compétition féroce à laquelle se livrent les cellules et les connexions, seul un petit pourcentage d'entre elles vont survivre et gagner."
Selon notre chercheur, c'est la croissance exubérante de la substance grise pendant la période prépubertaire qui donne au cerveau son énorme potentiel. Mais la phase "d'élagage" qui dans certaines zones du cerveau entraîne la disparition de 40% de la substance grise en une année, est peut-être encore plus intéressante. "Notre hypothèse directrice est que l'élagage obéit à la règle:"use it or loose it", on s'en sert ou on le perd. Les cellules et connexions qui sont utilisées vont survivre et prospérer, les autres vont disparaître. Si un teenager fait de la musique, du sport ou des études, ces tendances vont progressivement devenir "câblées". Idem s'il passe son temps à traîner sur le canapé ou devant l'écran de la console de jeux." Ainsi la maturation ne correspond-elle pas à une croissance pure, mais à la réduction après la phase de croissance.
La perte de matière grise diminue le nombre de connexions, mais celles qui subsistent deviennent plus rapides. (Analogie chemin de campagne/autoroute).

[quelque pages après...]
"Mais être surdoué, ce n'est pas un question d'intelligence, c'est faire fonctionner son cerveau autrement", insiste la psychologue clinicienne Jeanne Siaud-Facchin. Plusieurs études notamment celle du professeur Marie-Noëlle Magnié à Nice, ont montré que non seulement les précoces avaient une maturation accéléré du cerveau mais surtout qu'ils traitaient l'information de façon différente. En mesurant l'activité électrique du cerveau en réponse à une demande intellectuelle, cette chercheuse s'est aperçue que les enfants précoces activaient plus souvent leur hémisphère droit que les autres. Cela explique que là où les enfants "classiques" vont analyser les donnés les unes à la suite des autres, en procédant par élimination, les précoces auront un raisonnement en arborescence.

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[du Magazine littéraire hors-série sur la Mélancolie]:

"Pour quelle raison tous ceux qui ont été les hommes d'exception, en ce qui regarde la philosophie, la science de l'Etat, la poésie ou les arts, sont-ils manifestement mélancoliques, et certains au point même d'être saisis par des maux dont la bile noire est l'origine ?"
Aristote, Problème 30,1

Sur le mur de l'oeuvre d'Otto Dix, "les sept péchés capitaux" (1933), on peut lire les mots de Zarathoustra: "Le Désert gagne, malheur à qui recèle des déserts."

"Encore une fois dans ma solitude. A force de m'y trouver mal, j'arrive à m'y trouver bien."
Flaubert, Correspondances.

Quant à Proust, il va même plus loin dans Le temps retrouvé, il explique que la seule utilité du bonheur c'est de rendre le malheur possible, et constate que "les oeuvres, comme les puits artésiens, montent d'autant plus haut que la souffrance a plus profondément creusé le coeur."

L'écrivain mélancolique serait-il égoïste ? Evidemment, mais chez lui, c'est plutôt une qualité. Car il n'a aucune confiance dans l'accueil que lui fera son temps. Toute l'histoire littéraire lui donne d'ailleurs raison.
(p.20, Gilles Barbedette)

"Je suis malheureux. Je puis même aller au-delà de cette phrase et, y ajoutant toutes sortes de fioritures selon les ressources d'un talent qui semble n'avoir rien de commun avec le malheur, improviser là-dessus soit de façon simple, soit sur le mode antithétique, soit avec des orchestres entiers d'associations."
Kafka, Journal

Byron a d'ailleurs un mot charmant pour expliquer la présence de ces sentiments contradictoires chez l'écrivain mélancolique:
"Non, répondit-elle, vous êtes le plus mélancolique des hommes et souvent, quand on vous voit, le plus gai."
Se méfier donc de l'apparence du rire chez les mélancoliques. C'est souvent un rire nerveux, bref ou insolent, un rire déplacé comme chez ces personnes prises d'une crise de fou rire pendant un enterrement.


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D'une part, le désinvestissement des liens, la coupure des relations. "Non, semblent dire les mélancoliques et les déprimés, votre société, vos activités, vos paroles, ça ne nous intéresse pas, nous sommes morts." D'autre part, la dévalorisation du langage. Le discours déprimé peut être monotone ou agité, mais la personne qui le tient donne toujours l'impression de ne pas y croire, de ne pas l'habiter, de se tenir hors langage, dans la crypte secrète de sa douleur sans parole. (...)
En effet, le problème est là: si le déprimé se dérobe au langage, s'il considère le langage comme banal ou faux, comment pourrions-nous entrer en contact avec sa douleur par la parole (puisque c'est avec la parole qu'opère le psychanalyste) ?



TERRIBILIS EST LOCUS ISTE.

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Délivrer le passé un peu de sa répétition, voilà l'étrange tâche.
Nous délivrer nous-mêmes -non de l'existence du passé- mais de son lien, voilà l'étrange et pauvre tâche.
Dénouer un peu le lien de ce qui est passé, de ce qui s'est passé, de ce qui se passe, telle est la simple tâche.
Dénouer un peu le lien.
(Quignard, Abîmes, p.273-274)

"On ne transporte la flamme qu'en brûlant."
p.134

Qu'est-ce que le réel ?
Comment "nommer" le pôle du monde externe qui se tait dès que le langage le dénomme ?
C'est le début de janvier à l'est des pierres alignées de Carnac.
Il pleut.
J'ai sous les yeux -autant que je puis voir sous la pluie de Bretagne- les pauvres traces de plastique et de fer que laisse une rivière en décrue.
(p.125)

Le malheur est distinct du désespoir.
Le malheur consiste en la croyance au présent.
Le malheureux est un corps qui exclut que tout passé puisse l'affecter. La dépression, l'acédia redoutent de façon panique le passé resurgissant ici comme un fauve qui dévore. Le déprimé prétend vivre dans l'instant. Tout souvenir doit être évité. Toute retrospection est fuie. Le signe de la déréliction est l'impossibilité de souffrir le passé parce que la possibilité du bonheur tisse un lien puissant avec jadis.
(p.168)


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A supposer que nos presques-folies doivent, je crois, être entendues en ce sens: symptômes d'une personnalité qui s'efface.

Le mal est dans ce que nous supposons le moins d'être une limite à notre être. Bien des choses, relations, idées, sont d'insoupçonnables limites. Je crois que nous nous limitons par trop d'erreurs qui ne tiennent pas de notre volonté; aller contre serait pensé comme une impulsivité regrettable: nous ne pouvons nous défaire de ces erreurs trop anciennes; crispés, nous nous y tenons. Ce n'est pas conscient, ce n'est pas exprès. Nous refusons la cause primordiale de ces symptômes de folies. [Aux pertes de repères salvatrices, nous faisons comme les crustacés, nous revenons dans notre ancien logis, nous nous lions sur des repères fossiles.]
L'être qui se plaint peut difficilement supporter notre nourriture psychique et effective; il n'aurait rien à déguster, mais nous n'osons pas accéder au plus vaste et au plus subtil : l'estomac de la conscience lui-même est devenu limité par nos limites.
Tâche de l'en déshabiller, alors, tu perdras l'arrière goût réminiscent de la folie.

-Je vais te dérouter de la compréhension et signification de ce que je décris ci-dessus.
Souvent, je crois atteindre la folie quand mon propre être me limite; mon estomac psychique est fatigué de toujours digérer les aliments de la personne (moi) qui l'abrite; je ressasse mon propre être dans un geste d'auto-cannibalisme. C'est donc pour éviter de me noyer tout à fait et pour ne pas encore devenir fou que je mange l'Autre.
(sept.05, à A.)


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La lune se multiplie
Dans un arbre en proie au gui
(p.37 Une leçon de morale, Eluard)

Au mal:
Mon discours est obscur parce que je suis seul
Il fait jour
Terriblement
Peut-être pour toujours

Pourtant la porte se referme
Sur un rêve de clarté
Sur le soleil et sur l'herbe
Sur un visage heureux d'être compris
D'être accepté

Pourtant la porte se referme
Sur le bonheur que j'ai voulu que j'ai créé
Et je parle de nuit malgré le jour bruyant
J'oublie le jour rêvé je me couvre de terre

Mon nom est rien
Et tu as pris mon nom en t'unissant à moi
Nuit je parle de mort je ne crois qu'à la terre
Oui tout existera le pire et le meilleur

Mais je n'aurai pas été là.

Au bien:
La totalité du jour pèse dans la vallée
Comme l'éclat de trop de fruits dans une corbeille

Flamme pour flamme, jour pour jour
Ici l'on pense en lumière
Et le ciel sur la terre
C'est la volonté d'y voir clair
(p.57...) in Volonté d'y voir clair (Eluard)


Nous ne perdons pas un brin d'herbe de l'espoir
Nous refusons d'être sans rêves tout l'hiver

Pour nous le soleil brille
Nous croyons au printemps il n'est jamais si loin
Que nous ne puissions pas l'atteindre d'un coup d'oeil
Il n'y a pas d'aveugle

Rêves d'amour pour nous sont rives de justice
Et l'objet de nos mains

Notre rivière a son chemin
Elle est le coeur la gorge et la langue et la voix
Elle va de l'avant sans cesse portant sens
Portant notre désir de lendemain immenses

Par le corps amoureux du bonheur immédiat

Au bien:
Le soir et les tenailles de la solitude
Où j'ai envie de tout avouer
Où je rougis d'être en automne
Quand je me sens au mois de mai.
(p.20, Une leçon de morale)

Et tout ce que je dis réfléchit une absence
Je reçois le présent comme un trésor la pioche
Mon plaisir maintenant c'est de tuer le temps
Se masquant de fumée le bois vert a brûlé
Les feuilles et les flammes n'étaient pas visibles
(p.28 in Nusch)

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S'il est vrai que tout est à apprendre, que la connaissance est telle une quantité de perles qui, du fait de l'étroitesse de nos paumes* ne peut être saisie, et dont il nous reste si peu car nous doutions desquelles nous voulions avoir, dans ce cas, ne nous faut-il pas ne rien vouloir s'accaparer ni ne rien tenter retenir ?
Je fais l'éloge d'une autre forme de connaissance, je renie la science et le savoir brut, j'appelle à la contemplation. N'est-il pas évident que nous sommes si peu bâtis et constitués pour cela, je veux dire, connaître à perte ?
J'ai, à cette phrase, le monde contre moi, l'homme n'est pas ce que j'avais espéré, il est si brut et si primitif qu'il n'a d'autre solution que d'étudier le brut et le primitif. A cette règle nous échappons, et, il ne faut pas vouloir emprunter des détours bruts et primitifs.
*du fait de leur parfaiteté insaisissable.
(sept.05)


Je n'ai jamais compris les gens qui, sans se connaître, trouvent des sujets de conversation. Je crois qu'il faut se taire, se regarder en silence. Ou bien parler beaucoup parce que cela revient au même.
[Jean Eustache]
Dialogue du film La maman et la putain


22 octobre 2005

La nuit la poésie


MINUIT


Un ciel lumineux, sans étoiles.
J'attends, et le silence est tel
qu'attendre n'a plus d'importance
De temps en temps un arbre regarde par la fenêtre,
une branche remue. Les fourmis sur le sol
scintillent. L'horloge sonne. Les murs sont blancs.

Dominique GRANDMONT






"Un paon blanc jailli du solitaire" (L'aubier de l'aube, Jacques BARON)



















20 octobre 1976


Le vent de mon pays
souffle, hurle, gronde
sur la terre humide qu'il balaie

il trace des figures

il grave un passé
le mien, le tien, celui de chacun

son bruit me rapelle une symphonie
celle que tu susurrais à mon oreille chaque nuit
aujourd'hui, ce soir, cette nuit
seules les empreintes de la vie
me reviennent à l'esprit et

la pluie tenace, le vent têtu

reviennent comme chaque année

et me ramènent à toi

aussi loin que tu sois
me rapellent encore

que j'ai un corps que j'ai une voix

que j'élève en offrande à toi.

http://saidamenebhi.ifrance.com/

21 octobre 2005

Swedenblog: Sincérité salvatrice...



« Par les déclarations de la Parole selon lesquelles tout homme sera jugé et récompensé selon ses oeuvres, il est entendu qu'il sera jugé et récompensé selon sa pensée et son affection d'où proviennent ses oeuvres, ou qui sont dans ses oeuvres ; car la qualité de toute oeuvre est entièrement telle que sont la pensée et l'affection qui l'inspirent ; d'où il est évident que c'est l'interne de l'homme qui est tout dans son externe. La chose peut être illustrée de la manière suivante. Si quelqu'un agit avec sincérité, et ne frustre pas un autre, tout simplement parce qu'il craint la loi, ou la perte de sa réputation, il le dépouillerait de tous ses biens s'il n'était pas retenu par cette crainte ; il s'ensuit qu'il a la fraude dans sa pensée et dans sa volonté, bien que ses actes extérieurement paraissent sincères. Un tel homme, étant intérieurement frauduleux a l'enfer en lui. Mais celui qui agit sincèrement et ne frustre pas un autre parce que cela est contraire à Dieu et à l'amour du prochain, ne désirerait pas frustrer un autre s'il le pouvait, sa pensée et sa volonté sont sa conscience ; il a le ciel en lui. Les oeuvres de l'un et de l'autre, dans leur forme externe, paraissent semblables, mais intérieurement elles sont absolument dissemblables. - Ciel et Enfer, n° 358.

Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites ! Car vous ressemblez à des sépulcres blanchis, qui paraissent beaux par dehors, mais qui en dedans sont pleins d'ossements de morts et de toute sorte de pourriture. - Matt. XXIII. 27,

Car je vous dis que si votre justice ne surpasse celle des scribes et des pharisiens, vous n'entrerez point dans le royaume des cieux. - Matt. V. 20.

Il faut cultiver la haine de soi

« Tout homme qui veut penser d'après la faculté rationnelle dont il a été doué peut voir que c'est de l'amour de soi que naissent tous les maux qui détruisent la société civile ; c'est de cet amour, comme d'une source impure, que surgissent toutes les haines, toutes les vengeances, toutes les cruautés, et même tous les adultères ; car celui qui s'aime, méprise, blâme ou hait tous les autres qui ne le servent pas, ou qui ne lui rendent pas honneur, ou qui ne lui sont pas favorables ; et quand il a de la haine, il ne respire que vengeances et cruautés ; et cela, en proportion de ce qu'il s'aime lui-même ; ainsi cet amour est destructif de la société et du genre humain. L'amour de soi est diamétralement opposé à l'amour mutuel dans lequel consiste le ciel, et comme de cet amour naissent les haines, les vengeances, les cruautés et les adultères, c'est lui qui produit tout ce qu'on nomme péché, crime, abomination et profanation ; c'est pourquoi quand cet amour domine chez l'homme, l'influx de l'amour céleste procédant du Seigneur est continuellement chassé, perverti et souillé. » - Arcanes Célestes, n° 2045.

18 octobre 2005

Complément au GD

Explication/définition du GD (Grand Directeur), (car je n'ai jamais formulé de définition claire et précise):
Le GD est l'étrave de l'être qui lui permet de cheminer à travers la "vie". C'est le diamant, la partie la plus concentrée et dure de son ossature. C'est le point de décision. Tête décisionnelle et directionnelle qui maintient et recoupe les axes de l'architecture de l'esprit.
Dans la diversité (confusion parfois) de vie, et dans toute vie, passe le GD.

On se posera alors la question de la perte de choix dans le ralentissement psychique que représente les états d'esprit dépressifs ou "contemplatifs"(sens banal du terme).
Cela est dû non pas à un affaiblissement de la "puissance de frappe" et à la résistance du GD, cela est dû au freinage du vaisseau, l'être, qui se trouve en derrière le GD.

La perte de décision du GD par le folie provient d'une vitesse de l'être asynchrone avec les éléments qui l'entourent ("signifiant": dans ce sens précis : tout ce, pour l'être, lui donne un sens).
Quand la machine, trop rapide, (rapidité dûe à quelconques causes de la folie, de l'exubérance psychique (intellect) à l'incontrôlabilité de soi, ou jusqu'à l'imprévisibilité de ses propres mouvements psychiques) ne peut supporter longtemps cette vitesse, le premier symptôme est alors ces quelques idées ou comportements de folie.


Wittgenstein

Dans la préface de "De la Certitude", de WITTGENSTEIN, je note quelques passages.


"Une partie du texte des carnets a été rédigée dans une sorte de langage chiffré dont Wittgenstein n'a jamais cessé de se servir. Une partie seulement de ces notes en code a pu être déchiffrée. Elles semblent s'appliquer surtout à des sujets d'ordre personnel, et l'on ne saurait assurer que leur publication soit susceptible d'intéresser un assez large public."
(p.16-17)

"A partir de 1933, un changement radical d'orientation va se manifester (...) Wittegenstein abandonne la théorie du langage-peinture, la théorie selon laquelle toutes les propositions signifiantes sont "fonctions de vérité" de propositions élémentaires, et celle de l'existence de réalités informulables."
(p.22)

"Il produisait, sur ceux qui avaient l'occasion de l'approcher, une très forte impression. Certains s'écartant de lui, mais beaucoup se trouvaient attirés, voire fascinés. Wittgenstein évitait les simples rencontres mais il avait beson apparemment d'un entourage amical. C'était un ami incomparable, et fort exigeant."
(p.26)

"Comme il le disait parfois lui-même, Wittgenstein avait l'impression d'être condamné. Il était constamment tendu et anxieux. Pour lui, l'époque moderne était un âge sombre."
(p.27-28)


Using only a simple abacus, little Ludwig "Wiggy" Wittgenstein proves that logic tells us nothing and that human existence is meaningless.
His teacher gave him a C minus


17 octobre 2005

Ce qu'est le fil de vie

La vie n'est qu'un long fil reliant les abérations.

Il est donc logique que pour sortir de toute répétition [but de la vie] il faille tisser:
-capturer le jour
-refaire une toile nouvelle la nuit.

Il y en a qui tissent, d'autres qui transperçent les toiles, fierement, et pour cela, beaucoup périssent.

D'où la conclusion: les Grégaires sont coupables de leur perte, et les Solitaires [tisseurs] innocents de leur fatigue [à tisser pour les Grégaires].


La simple irresistibilité: se renouveller la nuit et piéger le jour [dans les rets des toiles].

Pascal Quignard, Nietzsche le saumon



"Nietzsche fut un homme saumon antidatant, régressant, retournant éternellement comme les étoiles désirent.
Le saumon du Pacifique parcourt jusqu'à 3200 kilomètres pour frayer et mourir. Regressus de 3200 kilomètres.
Un contre-don, une nostalgie qui est préhumaine fait tourner le temps.
Parce qu'un don, un présent qui est le passé; telle est la ronde.
Ronde extrême est la transe magique. La musique ôte le temps au langage, détache ce qui vient à la linéarié dont il procède et à la mort qui interrompt. La ronde invente le passé devant. La musique est ce qui fait tourner le passé au point de revenir.
Toupie, roue, inux, rhombe, bobine, fuseau, rouet, toutes rotations émettent un son, qui vrombissent sur l'axe, giration de la terre. Vertige des transes !"


Abîmes, p.148

8 octobre 2005

Trop de livre ?

Quelque part dans son Dictionnaire égoïste de la littérature française, Charles Dantzig rapporte ce mot de Léautaud : « On ne trouve plus de femmes de ménage. Elles écrivent toutes. » Elles ne sont pas les seules. Il est aujourd’hui beaucoup plus habituel de manier la plume que le plumeau.
Quelque quatre cent cinquante romans français, dont nous présentons ici une première sélection, paraissent en cette rentrée. Les chiffres records des trois dernières années sont égalés. Faut-il pour autant reprendre l’antienne selon laquelle on publie trop de livres ? Déjà au xviiie siècle l’abbé Dinouart déplorait les ravages de la graphomanie galopante dans L’Art de se taire. « Si tout le monde écrit et devient auteur, que fera-t-on de tout cet esprit et de tous ces livres dont nous sommes surabondamment excédés, inondés, submergés ?, se lamentait le bon abbé. Les auteurs naissent chez nous comme les champignons, et malheureusement, le plus grand nombre en a toutes les qualités. » Voltaire ne disait rien d’autre dans sa correspondance. Accablé par la prolifération des livres, il menaçait tout simplement d’arrêter d’écrire.
À quoi bon ? C’est la question que se pose à son tour Jean d’Ormesson, lui aussi découragé par la déferlante de la production romanesque. Constatant incidemment qu’en ses débuts il n’avait rien à dire, cet écrivain pourtant si doué pour le bonheur constate que désormais tout a été dit et s’avoue peu enthousiaste à l’idée d’en rajouter. « Il y a trop de romans, il en pleut de partout, le métier est gâché, la mauvaise monnaie chasse la bonne, on sent le bout du rouleau, écrit-il en ouverture de son nouveau livre, Une fête en larmes (éd. Laffont). Le seul projet qui pourrait encore me tenter, ce serait d’écrire des Mémoires. » Et de trousser le roman rêvé d’une vie, quelque chose d’aussi charmeur et volatil qu’une conversation mondaine, dans laquelle il revient sur des thèmes familiers – le château de son grand-père à Plessis-lez-Vaudreuil, sa fascination pour Chateaubriand, les paradoxes du temps qui passe. Parfois on le sent tenaillé par ce constat de Baudelaire, qu’il aime à citer : « Je me suis arrêté devant l’épouvantable inutilité d’écrire quoi que ce soit à qui que ce soit. »
Mais rassurons Jean d’Ormesson. Il a eu raison de persévérer. On ne publie pas trop de livres. Ce sont les lecteurs qui ne sont pas assez nombreux et motivés pour s’y intéresser. Comment imaginer une société si exsangue et atone qu’elle ne produirait chaque année qu’une brassée de romans ? L’abondance éditoriale est un signe rassurant : si l’on entreprend d’écrire, c’est d’abord parce que l’on aime lire. Laissons le dernier mot à Charles Dantzig puisqu’il nous a soufflé le premier, et que son Dictionnaire égoïste (éd. Grasset) est l’un des grands bonheurs de cette rentrée : « Les critiques disent qu’on publie trop. Ils ont raison. On publie trop leurs livres. »

Jean-Louis Hue

4 octobre 2005